By. Kooerry

some day i swear
we're gonna go to a place
where we can do everything we want to
and we can pet the crocodiles
(homonculus)


il se tenait debout sur l'estrade, bien en évidence pour que même les plus petits enfants du fond, tenus a bout de bras ou d'épaules par des oncles hilares, ne puissent en perdre une miette. une lampe à sodium l'éclairait par devant. il ne voyait rien.

à côté de lui, rayonnant et immense, était planté son maître. de sa grande main étau, il serrait la sienne ou plutôt l'écrasait. c'était un homme charbonneux et austère, plus proche du corbeau que du singe, mais que la scène transformait en oiseau de paradis.

don traum et son visage parcheminé, peu massif mais tentaculaire, avec ses yeux noirs et ses cheveux noirs, et sa bouche noire à cause du tabac et de la chique, et son tout petit sourire noir, disait à ceux qui le regardaient que se tenait devant eux le plus épais mystère, et le plus grand illusionniste, et le plus grand montreur d'ours, et le plus grand jongleur, grimpeur, cracheur, clown, dompteur de tigres, monsieur loyal, le plus grand prestidigitateur du monde.

don traum leva le bras et dans ce bras se trouvaient tous les secrets, toutes les merveilles de l'univers, tous les miracles repliés sous sa manche. ce bras devint alors pour la foule une promesse, une chose inouïe et saisissante qu'il fallait suivre, et surtout un geste - celui du magicien.

frei ne regardait pas don traum mais le public hypnotisé.
il confirmait la toute-puissance de son maître, et son très grand pouvoir, un pouvoir qui pouvait séduire et fondre ensemble les humains.

don traum baissa le bras et frei fut pris d'une convulsion qui fit frémir l'audience. fascinée, voilà qu'elle s'agglomérait en un seul mouvement, un corps commun sans âme qui ne formulait qu'un désir : voir quelque chose d'impossible, juste une fois.

frei fut frappé d'une douleur atroce qui comme un obus perfora son cœur. il la connaissait bien mais ne s'y était jamais habitué. son cerveau faisait toujours l'excellent travail de rejet qui lui permettait de ne pas se souvenir, d'oublier à jamais la sensation de se faire éviscérer vivant.

repoussante et prodigieuse, sa peau se couvrit de symboles géométriques tracés par un chemin de sang, de brûlures, ou de ce qui semblait être une forme de nécrose diabolique que devaient connaître les démons.

frei ne bronchait pas mais ses yeux pleuraient le sang. l'outrage à sa personne n'avait pas d'importance. ici la violence avait valeur de divertissement.

don traum regarda les marques avec douceur et elles se mirent à briller. il se produisit alors, devant la multitude, un phénomène étrange qui fit résonner avec le sien le corps de son serviteur. ses mains, les mains d'un homme qui torture sans toucher, et qui tue par sens du spectacle, s'emplirent de flammes bleues plus grandes que lui-même.

elles brillèrent intensément, puis, une fois don traum rassasié par l’hébétude de son assistance, expirèrent. sans plus de cérémonie, l'alchimiste se saisit du crâne de son homoncule et le pressa contre le sien. il lui murmura quelque chose. puis il se mit à fondre, tout entier, des pieds à la tête, comme de l'or ensorcelé.

frei se réveilla. c'était la centième fois qu'il faisait ce rêve. frappé par cette image qui creva son sommeil, il était tombé de son lit. les yeux grands ouverts dans la pénombre, ce qu'il vit en premier fut le plafond, qu'il se mit à détester ; car comme tous les animaux rampants, frei avait de la haine pour les hauteurs et les toits, et les parois et les portes, ces espaces frontaliers à la vie où il existait en sursis.

il planta son poing dans le mur et se fracassa les phalanges. cela lui permit de se rendormir paisible car il ressentait enfin autre chose que sa rage. on n'aurait su dire avec certitude, en cet instant, s'il était un animal ou un adolescent.

ni animal ni homme, frei est un objet, un objet de facture parfaite pensé pour une fonction, un objet pourvoyant au dessein de son designer. un objet fétiche, obéissant, un prodigieux instrument. en rejoignant le centre de ses cauchemars, frei se rappelait qu'il n'avait pas besoin de sa vie, n'avait pas besoin de la responsabilité de sa vie. il se savait soumis à cette autre vie dont il était le prolongement.