J'avais posé sur mes paupières, avant de me coucher, des pierres sur lesquelles étaient dessinées des yeux afin d'accéder au monde onirique prémonitoire. Le passé, le futur, le présent ; les rêves regorgeaient de réponses et de questions incroyablement intéressantes. Tout était à portée, et pourtant insaisissable à la fois. Explorer un monde comme celui-ci grâce à la magie est si... Captivant. Si enivrant. Et bientôt, la froideur de la roche sur mes paupières avait eu un effet apaisant qui m'aura tôt poussée dans les bras de morphée, éteignant mon trop plein d'euphorie comme une flamme sous la pluie.
Je dormais.
Je dormais, profondément.
Très... Pro.... fondément.......
Si profondément, que je ne me réveillai pas, au lendemain matin. Les rayons chaleureux du soleil naissant, les oiseaux gazouillant sur le rebord de ma fenêtre : rien n'y faisait, il était compliqué de me tirer de mon songe si précieux et si tranquille. Il n'y a sans doute que dans ces moments là que je suis si silencieuse. Il fallut que mon famillier, Chamallow, me coasse bien comme il faut dans mes oreilles pour enfin sortir de ma douce illusion. J'en tombai du lit, désorientée, encore un trait de bave traversant mon visage, et les cheveux sans dessus dessous comme si j'avais un buisson printanier sur la tête.
Mes précieuses pierres tombèrent au sol, libérant mes yeux enfin grand ouverts. Trop ouverts même. J'étais comme sous le choc de ce réveil si brutal ; et après quelques minutes étalée au sol avec cette mine stupéfaite; je me redressai en hurlant:

Oh non, oh non, oh noooon! Encore. C'est pas vrai...
Un vrai calvère. C'était mon premier jour en tant que professeur en plus ; la grande classe ! Si je chope ce malin petit esprit qui s'amuse à me hanter et me rendre toujours en retard...! Je... Je, euh... Je le renvois de l'autre côté !

C'est inquiète de mon sort, la tête ailleurs, que je me préparai à une vitesse égalant celle des éclairs. Empoignant mon sac et récupérant mon familier, Chamallow, sur mon épaule, je partis en claquant la porte, laissant mon petit Touffu terminer tranquillement à ma place la grasse-matinée à laquelle je n'avais pas eu le droit. J'avais certainement oublié quelques affaires, de surcroit ; mais pour l'instant ça n'avait aucune importance pour moi. Je me rendrai bien compte sur l'instant de ce qu'il me manque aujourd'hui dans ma panoplie.

Aujourd'hui, c'était la rentrée ; et pour la première fois depuis très longtemps, j'allais remettre les pieds à Hellébore, dernier rempart de l'enseignement magique au monde. Et j'allais y enseigner la magie des esprits... J'avais si hâte! Même si je n'avais pas été en retard d'ailleurs, je pense que j'aurais couru aussi vite qu'à l'heure actuelle, à cause de l'impatience. Pouvoir inculquer la Magie, ses possibilités et toutes ses facettes incroyables à des jeunes était... C'était tout simplement le plus grand des honneurs, et l'un de mes objectifs de vie. Je voulais leur rendre ce qu'on a trop longtemps perdu. Ce que trop peu savent. Je voulais que leurs yeux pétillent autant que leurs esprits, et que mille questions brûlent leurs lèvres!

Alors je courrais, le sourire songeur collé au visage, en direction de l'école qui pointait de toute sa magnificence vers le ciel bleu qui annonçait une belle journée.

Il y a 25 ans, je  suis née en Uruguay, tout là-bas au fin-fond de l'Amérique du sud,  sous la bénédiction des étoiles et baignée dans l'énergie de la forêt tropicale. Mes parents étaient tendres, et la vie y était douce ; mais jeune, déjà, il y avait quelque chose en moi qui me distinguait des autres enfants. J'ai toujours eu comme une drôle de vision du monde, une sensibilité accrue quant à ce qui peut m'entourer. Vous savez, ce genre de sensation inexplicable, de présence que vous sentez, d'une compréhension sur un plan différent duquel on vit. Mes parents savaient d'où cela venait, ils avaient été très ouverts et compréhensifs et m'avaient expliqué qu'apparemment, j'avais hérité du sang de mon grand-père. Il était "particulier". C'est pour cela qu'à mes 6 ans, je partis vivre avec lui en écosse. J'ai toujours gardé contact avec eux, entretenant une relation épistolaire. Mais l'Ecosse était devenu mon nouveau chez-moi.

Là bas, j'y ai vécu l'essentiel de mon enfance, avec mes grand-parents. Ma grand-mère était bienveillante, mais surtout, mon grand père était devenu tout pour moi, c'était mon repère. Il avait ce même côté apaisant que la douce mélodie des vagues, cet douceur des fleurs de coton. Il était très spiritueux, très proche de la nature, et j'ai hérité de cette éducation en plus de son sang d'ascendance elfe qui venait de lui. Il savait canaliser mon trop plein d'énergie et avait réponse à toutes mes questions. Mon grand père m'a tôt éclairé quant à cette particularité qui était notre, et également, il m'a prôné l'existence de la magie pour laquelle j'avais une sensibilité accrue ainsi les différences auxquelles j'étais en proie. Il avait ouvert mes frontières et mon regard, en somme.
J'ai grandis avec ces sens unique, avec une vision mystique et magique, avec la possibilité de courir dans les landes verdoyantes, de parler aux animaux, d'écouter les arbres, de prendre en compte la présence des esprits... Tout m'émerveillait. Le monde était encore plus extraordinaire que je le pensais, il était encore plus vaste, plus complexe. On avait de nombreux petits rituels, rien qu'à nous. S'allonger au milieu des landes en regardant le ciel, visiter les collines éclairées par les lucioles et les esprits la nuit, se promener dans les forêts silencieuses, parler aux esprits par le biais du ouija, pratiquer la magie druidique... Autant de choses passionnantes que magiques. C'était une période extraordinaire, et enrichissante.

Cependant, il arriva un jour où la vieillesse le rattrapa. J'avais 13 ans, ce jour là, où dans son lit, sa main avait cessé de serrer la mienne. Mon grand père avait rejoint ce monde de l'au-delà qu'il m'avait fait découvrir, et était resté libre et insaisissable ;  laissant derrière lui une femme, une petite fille et un dernier sourire sur le visage de son enveloppe charnelle. J'avais été triste, certes, pour quelque temps. Dans ces moments, on l'est forcément un peu. Mais pourtant, quelque part, je n'étais pas rongée par mon chagrin et je m'en étais vite remise, car je savais qu'il n'était pas vraiment partit grâce à son enseignement. Qu'il était là, quelque part, qu'il attendait sûrement que je prenne contact avec lui.

Alors, j'ai repris nos rituels quotidiens, mais seule. Je gardais la tête haute,  et le sourire aux lèvres. Je m'allongeais au milieu des landes en regardant le ciel, je pratiquais la magie druidique, je me promenais dans les forêts silencieuses... Parfois, lors que je visitais les collines éclairées par les lucioles et les esprits la nuit, ou que je parlais aux esprits par le biais du ouija, je le cherchais, je me disais que je finirai bien par le retrouver. Cela avait duré un moment ; un quotidien rythmé par les souvenirs et les rituels. Mais je ne l'ai jamais revu. Un jour, peut-être... Je n'ai pas retrouvé mon grand-père, mais on me trouva, au coeur des étendues verdoyantes. Le vent sifflait, mélodieux, et l'herbe se couchait devant le Mistral ; le calme régnait, et au coeur de cette plaine de jade et de turquoise, s'était dessinée une silhouette assez unique. Lorsqu'il s'approcha, je savais qui il était ; mon grand-père m'avait parlé de lui, et une larme de joie dévala ma joue, brûlante et chaleureuse à la fois.

Ambrose.

Le répandeur d'espoir, celui qui offrait l'accès à la dernière école de Magie au monde.

Je l'ai suivi. Je suis allée à Hellébore. J'ai suivis la voie des Aconit, les "racines"; parmi lesquels j'y ai étudié avec ferveur, application, malgré ma tête de linotte. Et lorsque je fus diplômée, je me promis de revenir pour enseigner ici, et faire briller les yeux des élèves comme mes professeurs avaient su faire briller les miens.