Le vieux moulin était de loin son endroit favori dans toute l'école. Abandonnée, l'âme esseulée, les os qui constituaient ses ailes grinçaient dans la nuit sombre dans un écho qu’elle trouvait terriblement rassurant. L’odeur des pierres vieillies et du bois croulant la charmait d’autant plus et les petits animaux qui y venaient pour trouver refuge ne lauraient pas empêcher d’y trouver à son tour réconfort. Elle s’y sentait très bien seule, à entendre l’eau battue par les roues, tantôt en joie tantôt en détresse. Mais il lui arrivait, de plus en plus souvent ces derniers temps, d’accepter de partager ce moment intime avec d’autres. Ce soir, plus tardivement que jamais, Violette avait le privilège de passer la soirée avec elle, pour un poker comme Max lavait dit. La sureau l’attendait déjà et c’est sans trop de surprise qu’elle arborait une tenue vestimentaire composée exclusivement de noir, stéréotype classique des vampires. Elle n’y prêtait même plus attention ; même si profondément, elle était convaincue qu’un peu de couleur la rendrait encore plus jolie.
Le jeu de cartes le plus vicieux et dangereux qui soit...
Dans un grand geste dramatique, un paquet de cartes au dos rouge bien trop célèbre pour ses amitiés déchirées atterrit au pied de son amie.
Le Uno.
Ce n'est probablement pas ce que sous-entendait Violette. Surement voulait-elle parler des cookies quelle souhaitait tant déguster, incapable elle-même d’en apporter pour satisfaire sa faim. Mais qu’à cela ne tienne, max avait fait un détour pour rendre visite à ce cher Muffin Tim pour récupérer les restes de la journée, qui se composait de biscuits secs aux raisins et d’expérimentations plus que douteuses à base de choux au réglisse et de popcorn salé recouvert d’un coulis au chocolat qu’elle lui tendit avec un souffle moqueur. Si d’ordinaire Muffin était un excellent pâtissier, c’était avec grand plaisir que Maxime passait son tour ce soir. De toute façon, le régime la guettait sournoisement et venait murmurer méchamment dans son oreille à chaque fois qu’elle mordillait dans quelque chose de comestible.
D'accord ?
Sourcils levés. Que peut-elle bien penser ou répondre à ça ? Son nez vient renifler sa main, silencieusement puis bruyamment. Rien, elle ne sent rien. Rien d’autre que la sueur, l’effort et non sans surprise, le citron.
Tu pourrais au moins me dire ce que je sens, non ? Que je change de shampoing ou de parfum, puisque ça perturbe tant notre merveilleuse et divine marquise gothique.
Dans une grande courbette hypocrite, elle se prosterne aussi bas que possible, faisant tomber indifféremment ses cheveux trop longs sur le sol de pierre poussiéreux du vieux moulin, avant de se laisser tomber au sol et de s’asseoir de façon peu élégante, propulsant autour d’elle de petites vagues grises.
Voilà ce que j'ai à parier. Si tu gagnes, tu t'en tires avec seulement une heure de colle. Si tu perds, quatre heures.
Qu’elle perde ou gagne, le compte y était et l’envie de voir sur le visage de son ami l’expression d’une rage démesurée était bien trop tentant.
Sans rancune, Vivi, mais c'est le jeu d'Hellébore. Le couvre-feu, le règlement, la discipline, tout ça.
Ce n’est pas la première fois qu’elle l’attrapait la main dans la poche, défiant le règlement pourtant souple. Mais pour certains, pour beaucoup, c’était encore trop demander. Elle comprenait, un peu, cette révolte exprimée par des gens comme elle. Les vampires n’avaient pas l’opportunité de pleinement profiter de l’air tiède de la journée et des rayons qui baignaient les parcs, alors, logiquement, ils ne leur restaient plus que la brise fraîche de crépuscule et les grillons qui chantaient comme berceuse.
Elle comprenait oui, mais elle ne faisait qu’appliquer le règlement et si on lui avait demandé si elle trouvait cela injuste, la réponse aurait été oui.
Et toi, qu'est-ce que tu veux parier ? lui demande-t-elle en lui distribuant les 7 cartes nécessaires et posant le reste dans une pioche parfaitement rangée, avant de tirer un 6 rouge de la pioche.