Chère Nuage,
Je suis ravi de savoir que mes mots ont été en mesure de te transporter et de te faire vivre, ne serait-ce que l’espace de quelques minutes, les sensations qui ont escarpé mon cœur lorsque je me suis adonné à lire ta première lettre. Je sais que je me suis approprié les mots que tu avais abandonnés sur la surface de ce papier chiffonné, mais je ne le regrette pas. Je suis, et la lecture de cette seconde missive, que tu m’adresses, que tu me lègues, ne le confirme que trop, satisfait de faire ta connaissance.
Mais laisse-moi te répondre en bonne et due forme.
Je crois que les gens qui ont dédaigné les propositions d’Ambrose – que cela soit par choix ou par contrainte – sont au moins aussi nombreux que ceux qui ont consentis à le suivre dans les limbes de l’inconnu. Je crois, comme n’importe quel individu qui ressent des choses qu’il ne parvient pas à s’expliquer et auxquelles la science moderne ne peut apporter aucune réponse, que ces gens-là souffrent, oui. Je crois qu’ils souffrent en gobant, probablement, des piluliers complexes qui ne servent qu’à leur faire plus de mal. Les plus chanceux voient leur magie dévorée par le mal moderne et les autres, eh bien, je suppose qu’ils doivent apprendre à vivre avec. Je ne les envie pas et je me dis, avec un frisson douloureux qui vient longer ma nuque, que la seule chose qui me sépare d’eux est la réponse ingénue que j’ai servie à Ambrose le jour où je l’ai rencontré. Je me dis aussi que j’aimerais changer les choses, que le mal moderne est comme une énigme qui ne demande qu’à être résolue. J’ai la prétention d’essayer de le faire. Me crois-tu idéaliste ? Ingénu, peut-être ?
J’aime me dire que le bonheur et le malheur sont ces jumeaux qui se magnifient entre eux. J’aime me dire que si j’essaye assez mes efforts seront récompensés. Il faut goûter le malheur pour comprendre le bonheur, après tout, et je n’ai pas la prétention de pouvoir ressentir de la satisfaction sans d’abord avoir peiné sous l’effort. Je suis fatigué, souvent, parce que nombreux sont les aspects de mon quotidien qui me pèsent, mais j’aimerais me dire que je suis capable de me débattre et de trouver de l’énergie dans ce qu’il y a autour de moi. Rature ma précédente interrogation. Je suis très assurément ingénu. Soit.
J’ai suivi ta recommandation et je me suis rendu dans la forêt. Je t’écris cette lettre, niché contre un arbre que j’aime bien, à chasser des yeux le soleil qui perce entre les feuilles. De tout Hellébore, c’est le lieu que je préfère. Je m’y sens adéquat et la compagnie, lorsque j’en ai, vient généralement parfaire mes escapades. La forêt comble mes attentes lorsque celles-ci oscillent entre quiétude et danger et je me délecte régulièrement ses contrastes. Aujourd’hui, je suis seul, mais le chant des oiseaux et le bruissement des arbres me servent de compagnons. Dis-moi, quel est ton lieu favori ? Est-ce ta chambre aux dortoirs ou un endroit autre ? Tu m’apparais être une vieille âme, alors je soupçonnerais un endroit tel la bibliothèque ou l’observatoire près du lac ? Est-ce que je me trompe ?
Autrement, ne rien savoir de moi est un bon prétexte pour apprendre à me connaître. J’espère aussi avoir l’opportunité de collectionner des bouts de toi au travers de cette correspondance. Pour le moment, j’aimerais savoir quelle est ta théorique quant à la porte scellée du quatrième étage ?
Si tu es, aujourd’hui, encore trop fatiguée, n’oublie pas que tu peux te reposer contre mes mots. N’hésite pas à rager, à calomnier, à maudire. Je t’écouterai et, peut-être, parviendrai-je à panser quelques pans de ton âme.
Autrement, uniquement si le cœur t’en dit, je te propose de décorer une citrouille et de la déposer près du bureau du directeur Obryn au courant de la semaine.
- Quartz