we might be nuts — ft maxime

Maxime adore manger. De tout, chaud, froid, entrée, plat, dessert, français, asiatique, oriental. Manger n’est plus une nécessité ou un besoin urgent à remplir pour sa survie, il s’agit simplement de plaisir, de découverte de l’inconnu gustatif, l’envie de retrouver des saveurs et les déguster avec un arrière-gout d’enfance et de mélancolie. Alors il semblait évident que refuser l’invitation de Prudence ne faisait pas partie de ses plans. Le dortoir était tapageur comme de coutume, bien que légèrement douloureux pour Max. Les Aconits n’étaient au final qu’une grande bande de potes qui se retrouvaient pour bavarder bruyamment, là où le dortoir des Helvelles tenait plus du champ de guerre boueux et puant. Dans ce vacarme, elle survivrait une journée de plus, chemin continu de longues années de migraines à fréquenter des zones trop denses en populace.
Elle viendrait, mangerait, partirait décuver ce trop-plein de tumulte au vieux moulin.

Si tu continues à regarder ce plateau comme ça, les gâteaux vont pourrir.

Elle avait surgi dans son dos, amusée par ce visage si sérieux et hypnotisé par les gâteaux. Les pouvoirs des gorgones ne lui étaient pas inconnus, mais pouvait-elle fossiliser des gâteaux ? Si oui, elle ne pourrait donc plus les manger. Quid de la matière première qui composait principalement son corps avant l’eau ?

Yoooo. Est-ce que TOUT ÇA, c’est pour moi ?

De ses bras grands ouverts, elle englobe le plateau d’argent, les yeux brillants comme ceux d’un enfant. La simple idée d’un régime est d’ores et déjà loin, enterrée entre deux tombes en ruines. Mon Dieu, elle se sent horriblement gâtée et presque heureuse de servir de goûteuse.

Il n’y a rien au citron ?

Qu’est-ce qu’elle pouvait être invivable à ne parler que de ça, à vouloir absolument satisfaire son addiction à l’acide par tous les moyens possibles et inimaginables. La terre ne tournait pas autour d’un citron que l’on sache, mais d’une orange en fusion, n’était-ce pas déjà un présage annonçant que le citron n’en valait pas la peine ? Cependant, l’absence de son agrume favori ne l’empêcherait pas de se régaler, un trop-plein de confiance pour Prudence.

Je vais commencer par les sablés.

Des éclats de pistaches verts en ressortent et immédiatement, Max est trompée, car les pistaches ne font de mal à personne après tout. Les pistaches sont pauvres en calories et riches en acides gras se disait-elle, elles étaient donc l’ami de tout le monde.
Elle croque.
Mastique.
Le gout vient lui exploser en bouche comme une bouteille de verre sur l’arrière du crane.

Prude, c'est…

Une moue de dégoût déchire son visage. Existe-t-il un mot capable de retranscrire ce que son palais ressentait actuellement ? C’est violent, brutal, infect, mais comment lui dire sans la blesser ? C’est…

Dégueulasse.

Pourtant, c’est de force qu’elle avale le biscuit, préférant l’avoir au fond du gosier que de le vomir sur la table. L’âpreté de la lavande lui retourne l’estomac, reste accroché à sa langue et sa bouche ne ressent plus rien d’autre que l’arôme odorant de la plante.

[b]C’est juste que… c’est très fort en lavande. J’ai l’impression de me prendre un seau de parfum à la lavande dans la gueule et c’est pas très agréable. Je te suggère de BIEN baisser le dosage et ça devrait être bon.

Et elle priait d’avance pour que les deux autres propositions ne soient pas aussi agressives ou elle ne donnait pas cher de son sens Ô combien précieux.

Tu m'as pas dit, ces gâteaux c’est pour une occasion particulière ? Tu veux les offrir à quelqu’un ?

Elle ne devrait en aucun cas offrir ces gâteaux si c’est le cas, sauf si son désir profond était de détruire les papilles de la personne concernée. Mais Max n’avait que faire de ça et déjà lorgnait-elle sur les pralinés, les reniflant pour en détecter les ingrédients. Pas de lavande en tout cas, c’était bon signe.

À un copain Prudy ?

Ses sourcils se soulèvent de façon éhontée et insupportable avant qu’elle ne cesse cette désagréable comédie. Ça ne la concerne pas spécialement et n’y voit aucun intérêt dans cette information, mais la simple envie de la taquiner sur un sujet qui s’apparente de loin aux romans d’amour qu'apprécie tant Prudence la fait sourire. Max n’est venu ici que pour manger à l’œil et non pour ouvrir un dossier fédéral sur la vie sentimentale d'une camarade, mais ne serait-ce pas un petit peu irrespectueux de ne pas tenter de lancer une conversation ?

Fais pas cette tête, je suis sure que les autres sont bien meilleurs.

C’était inévitable et prévisible, Prudence ne semble pas réussir à digérer la critique, critique grandiose qui ne se constitue que de grossièreté médiocre qui ne font en rien avancer les choses. Il ne faut donc pas être surpris d’une telle réaction et d’un manque flagrant de réponse. Que pourrait-elle lui répliquer de toute façon ? Tes gouts sont honteux, je n’ai pas besoin de toi, hors de ma vue, fous le camp, connasse ? C’est vrai, Max, parfois, ne mâche pas ses mots et c’est bien pour ça qu’elle tente maladroitement de recoller les morceaux.

Quelqu’un à qui les faire ? Heu, je dirai…

Une multitude de noms lui vient : Ambrose premièrement, tous ses efforts méritent bien quelques gâteaux. Gareth, qui malgré son tempérament invivable de beau-père des étudiants, a bien plus à donner que la moitié de l’école. Erin, qui perd une bonne partie de ses week-ends en sa compagnie. Le directeur, Muffin Tim, ses correspondants anonymes, des amis proches ou non, le couple qui l’emploie à la supérette…Si cela était possible, l’école entière y passerait en réalité. Maxime ne comprend même pas que le sens de la question est tout autre.

Je laisserai bien un plateau à disposition de tous les helvelles, ce sont des animaux, ils mangeront tout. Et mes meilleurs amis bien sûr. Mais surtout pour moi, je le vaux bien.

Ses attaques ne lui font ni chaud ni froid. Surement devrait-elle lui rappeler qu’elle est la seule à avoir voulu sa présence, en toute connaissance de cause, et que sa sympathie pour Prudence l’empêche d’employer les mots justes et corrects que son estomac souhaite vomir : ces sablés ont probablement le même gout que de la litière parfumée pour chat. Puis merde, ce ne sont que des biscuits, pas de quoi déclencher une guerre et s’arracher cheveux et vêtements. Toujours est-il que l’aconit n’a pas tort, Maxime ne connait les fleurs que lorsqu’elles sont couchées et mortes sur le papier et non bavardes et chatoyantes dans son assiette.

C’est vrai que cuisiner avec des fleurs c’est pas commun. Ça reste encore majoritairement pour les végétariens, je crois. Ou les instagrameuses, mais je suis pas très au courant de tout ça.

La naïveté idyllique des propos de Prudence allège l’ambiance et fait naitre un fou rire incontrôlé chez elle. Ah, si seulement les choses avaient été aussi simples dans sa vie qu’un regard timide réciproque, qu’un secret murmuré dans l’oreille, un souvenir heureux partagé. Si seulement ! Mais la Providence, grande et injuste qu’elle était, avait voulu lui offrir autre chose, moins de choses, le cœur troué et la cervelle écrasée.

Mh, j’ai plus de chance de survivre à une collision avec un train à grande vitesse que de trouver le grand amour. Le temps que je trouve quelqu’un, tu auras le temps de te marier une vingtaine de fois je pense. Tu es belle après tout, tu pourrais avoir un harem.

Il est évident que trouver l’amour devait être bien difficile lorsque l’on s’autosabotait constamment, sans même tenter sa chance. Tout remettre sur le physique n’arrangerait rien et se comparer à Prudence n’aiderait en rien. C’était cependant vrai que Prudence était charmante, les courbes ou il fallait et des seins à tomber. Rien que son arsenal ne puisse rivaliser avec. Et quant à la probabilité de survivre à un TGV, même en maitrisant la magie, les chances restent presque nulles. Pourquoi des choix de vies aussi nuls Maxime ?

Nan nan nan nan ! Fais surtout pas ça, s’il te plait.

Qui a appris à cette jeune fille à cuisiner ? Ce sont normalement les américains qui s’amusent non ironiquement à créer les desserts les plus écœurants possible et surprennent le monde entier en les dévorant sans le moindre haut-le-cœur. Elle se battrait pour protéger ce plateau d’une catastrophe pareille !

Les pralinés sont pas mal franchement. C’est assez gras en bouche le praliné, mais la rose apporte une touche très douce qui allège un peu tout ça. Ouais, j’aime bien et je suis pas fan de praliné pourtant. 7,5/10.

Deux autres finissent dans sa bouche, confirmant ses propos. Puis un autre. Heureusement, une idée vient toquer à sa porte, l’empêchant d’engloutir la totalité du plateau.

Hm, je sais. Tu devrais parler avec Camille, Camille Mellow. Elle est dans ta maison et elle fait partie du club de thé. Tu devrais lui proposer d’apporter tes biscuits pendant une session, comme ça, tu auras plus d’avis pour te guider.

Surement plus constructif, moins approximatif et moins blessant ; finir sur une touche positive est toujours encourageant.

Le rire léger de Prudence lui fait lever les yeux vers son visage, trop doux, trop doux. Elle a l’envie soudaine de tirer sur ses joues et de la faire taire de cette manière. Pourquoi employer son nom complet ? C’est bizarre, Prudence est bizarre, parfois.

Je sais pas quoi te répondre, Prudence Venus O'Callaghan.

Non, elle ne sait pas, mais il n’y a pas grand-chose à dire, à avouer. Il n’y a que Wallis qui en sait trop sur ses états intérieurs et il est préférable que les choses restent ainsi pour toujours.

Dis-moi juste que tu m’aimes et ça me suffira amplement.

Elle joue la fausse charmeuse et lui envoie un clin d’œil qui atterrit sur la chevelure rose de son amie trop occupée à griffonner mille et une corrections. Tant pis, ce n’est pas aujourd’hui qu’elle séduira. Le commentaire – elle, une génie ? – la fait rire et manque de l’étrangler. Par un contre-argumentaire trop long et complet, elle aurait démontré en quoi l’appeler ainsi est une grossière erreur. Mais, elle n’était pas ici pour l’ennuyer, ou du moins faisait-elle semblant de le cacher. Et lorsque Prudence parle d’acidité et de citron, sans hésiter, elle dégaine sa préférence.

Citron ! Maiiiiis…tu peux faire les deux, tu sais.

C’est vrai, pourquoi se priver d’encore plus de gâteaux ? Ce n’est pas elle qui fait la vaisselle au bout du compte de toute évidence.

Eeeh, tu dis ça comme si j’étais quelqu’un d’horrible, grossier et que je t’avais insulté.

Qui elle ? Non, jamais elle n’aurait fait quelque chose d’aussi odieux en présence d’une agréable compagnie et cette ironie la fait bien sourire. C’est vrai qu’elle n’a pas été très tendre avec Prudence.

Je t’aime bien moi.

Lorsqu’elle les mots quittent ses lèvres, ça sonne bizarrement comme un « il est gentil ce garçon » au féminin. Pourtant, il n’y a pas de mensonges prononcés, juste une maladroite sincérité. Elle voudrait connaitre Prudence, celle qui pouvait se cacher derrière ce rideau rose cinglant aux paillettes brillantes, pas l’exubérante et bien trop belle aconit. Ce n’est pas que celle-là ne l’intéressait guère, il n’y avait juste aucun point commun auquel se raccrocher et hormis son attrait outrancier pour le maquillage, Prudence dévoilait peu de ses passions.
L’air bien plus sérieux qu’au début de la dégustation, elle saisit un des sablés désignés, le porte sous son nez.

Je sens la noisette.

Elle renifle de nouveau, à la recherche d’un parfum fleuri qui se fait trop discret. Incapable de mettre le droit dessus, elle croque, prend son temps pour macher, les yeux se fixant un peu partout sur la salle dans laquelle elles se trouvent. Il ne faudrait pas tarder pour finaliser les préparatifs de la soirée, ensorceler le sort et transporter toute la nourriture sera un calvaire et tout doit être parfait.

Y a un arrière-gout étrange de noisette, c’est peut-être le coquelicot.

Est-ce que Prudence à réellement cuisiner des sablés au gout noisette et noisette fleurie ? Marrant, mais elle enfonce d’un énorme coup de pied la remarque au fond de sa gorge ou elle ne survivra pas bien longtemps a ses critiques.

Je remplacerai peut-être la noisette par autre chose. Des éclats de chocolat ou quelque chose de plus exotique. Oh, je tremperai bien ces sablés dans de la crème anglaise par exemple. 9/10.

Et voilà. Son travail ici est terminé. Mais il y a dans les yeux de Maxime une envie de rester perceptible, de ne pas courir vers sa prochaine tache. Elle voudrait juste voler un peu de temps ici et là, pour elle, pour Prudence, pour profiter de l’instant présent. Malgré cela, la conversation ne lui vient pas et l’idée de s’imposer rudement ne lui plait pas, même pour quelques minutes ne lui plait pas.

Pourquoi tu ne ferais pas une pâtisserie ? C’est encore expérimental, mais tous les chefs passent par là et tu as des idées à revendre.

Assurément trop, mais vaut-il mieux cela que pas du tout.