What do you mean "I talk too much" ? - FT Senrhys

La fuite en seule échappatoire, c’était presque devenu un instinct, de trouver la voie la plus proche pour s’esquiver. L’art de s’évincer, de ne pas se laisser prendre au piège, comme un animal flairant son traqueur, là où les herbes hautes sont agitées, là où le fer acéré salive de croquer la chair délicate d’un appendice égaré. Trop innocent, l’enfant qui ne trouve pas sa route, se perdra aux griffes d’un agresseur plus fauve, plus habile. Et quand la fuite n’est plus une option, tout ce qu’il reste… ?

Probablement rien, si Senrhys devait être honnête.

Il n’avait à cœur qu’une unique chose, retrouver Lion, là où ils s’étaient donnés cet éternel rendez-vous implicite. A l’orée des bois, là où les jacinthes sauvages se mêlent aux anémones fraîchement fleuries. L’été se meurt, et le monde persiste encore à s’épandre de ses plus belles couleurs. Une odeur douce, une vision délicate, une fabulation tendre et suave qu’ils avaient le goût de partager depuis ce qui lui semblait désormais être des années. Elles l’étaient, à juste titre. Toutes ces secondes partagées, le fil incessant des chants et des rires, des regards volés et des ailes choyées, là où la terre entière souhaite encore les briser. Un refuge, là où le cœur est à l’abri des ombres, où ténèbres n’a aucune rime.

Une inspiration candide, celle d’un sentiment que l’on chuchote sans jamais oser l’avouer. Admirer une vision diaphane, là où Orion s’étale en une voie lactée délicieuse sur les épaules et les joues d’un ange pour lequel il n’aura jamais la force de tarir d’éloges. Parce qu’il est une étoile filante qu’il poursuivra jusqu’à en perdre son souffle. Parce qu’une poursuite lui semble, une seconde, être un doux péché pour partager quelques souffles avec l’être aimé.

Mais devant lui s’élance un adonis qui d’un hâle flavescent s’empare du soleil pour l’étaler sur sa peau. Où l’ambre s’étouffe, ses yeux d’onyx prennent le dessus sur des mèches à l’esthétique noueuse. Oh, peut-être n’est-ce pas de ça dont Senrhys devrait s’enquérir en priorité, non. Il freine des deux fers, pris au piège dans ce segment du monde où aucune voie ne lui permettra de s’évaporer. Oh, les salles de classes sont bel et bien là, pavant ce chemin, mais les portes qu’il ne trouvera pas closes seront celles habitées d’âmes qu’il ne serait pas sage de déranger.

L’étranger déglutit, fuit le regard insistant lui faisant face, et dans un miroir décadent, l’assurance lisible dans la démarche du nouvel arrivant s’efface de chaque pore de l’éthiopien. Comment les choses pourraient-elles s’envenimer ?

Oh, il le sait, oui.

Un flot de mots aux consonnances accentuées à l’excès agresse les oreilles du plus âgé, lui faisant battre des cils, l’air surpris, sourcils haussés. Une gazelle prise au piège face à la course terrifiante d’un jaguar. Il recule, l’étonnante verve aux sons insensés ne laissant la place à aucun souffle, aucune pause. Et de tout ceci, il ne retient que quelques mots.

Eviter. Amis. Thé.

Senrhys relève les mains d’un geste tremblant, les agitant en un signe négatif devant son visage, la symbolique d’une croix évidente dans le croisement maladroit de ses poignets. Il ne veut pas, n’est pas à l’aise, se sent à une place qu’il ne mérite pas. Alors il attrape la lanière de son sac et baisser le visage, enfonce sa tête entre ses épaules et prend le parti de contourner Elias.

Mais rien n’est jamais si simple, pas vrai ?

Comme une coïncidence troc cocasse, la boucle en cuir de son sac en bandoulière cède, faisant s’échouer dans un fracas lui semblant assourdissant l’ensemble de ses affaires. Des pages s’étalant comme une marée salive sur le sable, des mots, des notes, des poèmes, des rêves et des lignes tracées dans sa langue natale. Et là, comme le fragment volé d’un souvenir, sur la blancheur d’un monde de papier, des traits assurés dessinent sans peine les lignes d’un Lion au sourire rayonnant. Le visage de Senrhys s’embrase, la gêne évidente.

Mais où est cette maudite échappatoire ?