Lion est encore un petit garçon, car de ses poches s’échappe un patchwork végétal. Elle s’étonnera toujours des petits secrets qui se cachent en ces fonds.
Maxime ricane nerveusement à l’évocation de ses délires. Les siens. Elle triture violemment son oreille. Partagé entre l’envie de vomir une longue protestation, selon laquelle elle n’est en rien un modèle, et celle de se mordre la langue, Maxime choisit le silence. Non, Lion ne subirait pas ses humeurs stupides et en conséquence, sa bile noire lui retourne le foie. Soit, s’il veut tant apprendre de ses mains, elle n’y soustrairait pas.
Secrètement, l’exercice lui plait et comme témoin fourbe de son allégresse, un sourire bienheureux a idée de s’établir sur son visage.
Hm, okay. Mais ça ne marchera pas, si tu veux me copier à l’identique, tu sais.Lion s’obstine à prendre exemple sur elle, sur la plante la plus fade et inodore, celle dépareillée de toutes ses couleurs, disperser dans tous les recoins du jardin. Max ne comprend pas pourquoi elle et pas une autre, pourquoi il s’acharne dans son entêtement d’enfant à vouloir observer la chose la plus banale qui soit.
Quand j’écris une lettre… Phrase en suspens.
Je fais pas vraiment attention à l’ordre dans lesquels je dis mes mots. Le plus important – à mes yeux - c’est retranscrire le mieux possible ce que je ressens. Quand c’est vraiment important, je peux faire un à plusieurs brouillons, mais ce n’est pas nécessaire en général. Ça me fait chier les brouillons de toute façon.Ses mains se perdent sur le bois ancien, comme frappé par l’oubli. Lion avait souvent été témoin de ses rédactions, des constellations entières perdues dans ses yeux, néanmoins, jamais il n’avait tant scruté ses gestes, son visage. Jamais elle n’avait aussi peu apprécié cet instant, car le doute la frappe. L’appréciait-il elle, dans son intégrité la plus totale, ses colères, ses jugements, ses mines insipides marquées parfois par le dégoût et l’indifférence ou bien uniquement les mots aromatisés qui s’échappaient de sa plume ? La voilà qu’elle recommence, percutée en pleine face par la méfiance. Pourquoi doutait-elle de Lion ?
Hum. Le plus dur c’est les premières phrases, parce qu’elles te donnent le ton général de la lettre.Max avait appris par cœur le petit rituel des calligraphes et se souvenant des lettres envoyées par Lion, celui-ci ne le respectait guère. Des feuilles au-dessous du papier, une au-dessus pour le poignet. Le bouchon du flacon d’encre noir saute et est délicatement déposé le plus loin possible de la feuille. Le dos droit. Mais il est encore trop tôt pour tremper la plume, car son cœur a soif de raison d’écrire. L’instantanéité lui avait toujours échappée et avait dû se faire alliée de la patience et de la réflexion. Jusque-là, cela n’avait jamais réellement marché et il n’y avait que sous impulsivité qu’elle brillait le plus, de façon irrégulière, puis s’éteignait.
Les murmures avoisinants la dérangent, elle se sent la cible de rires audibles que sur les lèvres et même le Soleil vient à épier par-dessus son épaule, attendant quelque chose, un mouvement, une idée, un souffle de vie. Tout le monde semble repu de bonheur et de vie. Mais pas elle. Maxime voudrait subtiliser la sérénité qu’ornent certains visages de l’Académie. Ambrose. Elle voudrait voler Ambrose. N’est-il pas un bout de chaque personne à Hellébore, sans même jamais ne leur avoir adressé une parole ? Maxime voudrait être Ambrose. Mais Maxime ne peut porter que le voile de l’invisibilité, de l’indifférence, pas celui du mystère au parfum printanier. Seigneur, qu’elle l’envie, c’en est ridicule.
« Lorsqu’en début de soirée je me rends à la supérette, le chemin me mène continuellement sur les sillons du le baleineau. C’est protégé des gens comme moi, que, derrière la vitre, je vois les plus beaux trésors qui me mourir d'envie. Tout le monde semble heureux à l’intérieur et je sens la chaleur me brûler le cœur, les saveurs multiples du sucre pénétrer mon nez, réveiller un estomac pourtant rassasié. Lorsque je vois, cette opulence de couleurs exposées, parfois, je pense, à toi. Lorsque j’aperçois, la robe rose criard du macaron, je pense, à tes goûts vestimentaires désastreux. Les profiteroles ont le gout de ta personnalité, enveloppe par un petit cœur mou et chaud, on y trouve une douceur inégalité.
Mais de toute, ma préférée, lorsqu’on l’admire de haut, est la tartelette au citron. N’as-tu jamais remarqué comme ces petites choses ressemblaient à des soleils ?
J’aimerais qu’un jour tu m’accompagnes à la supérette, pour ne plus jamais observer cette pâle copie de toi que m’offre cette vitrine.
XXX »
La dernière phrase est déchirée, noyée dans des striures de jais. Elle se retient de vider son encrier sur la totalité de la correspondance d'ores et déjà mort-née.
Hmmm. J’aime pas, crache t-elle simplement au papier, comme s’il était en tout responsable des mots tracés en sa surface. Maxime aurait voulu quelque chose de mieux. Plus beau peut-être. Moins étrange ? Quelque chose. Quelque chose la dérange. Surement tout ? Peut-être elle. Elle serait gênée si sa bouche était en symbiose avec son cœur, des choses, aussi bien horribles que suaves s’en échapperaient.
La critique est la seule chose qu’elle connait réellement.
Le début n’est pas bon, la fin aussi. La formulation est bizarre. Je trouve. Elle tire sur son lobe droit, longtemps, le regard perdu sur le crâne chauve d’un garçon assis au premier rang. Sans laisser le temps à Lion de contester, le papier se fait malmener et froisser pour former une boule.
Et je recommence, jusqu’à ce que je fasse un truc qui me plaise. Mais même quand ça me plait, je les envoie pas forcément. Des fois, envoyer une lettre, c’est surtout du courage.Et je ne le suis pas souvent, qu’elle voudrait avouer. Mais ce n’est pas ce qui sort de sa bouche.
Bon bah à ton tour. Et comme je t’ai dit, ne te force pas à faire comme moi. Écris...ce que Balthazar Lion Slider voudrait écrire, avec le vocabulaire qu’il possède.