Tu étais arrivé il n'y a que quelques jours à peine, avec l'annonce du départ de tes parents pour une nouvelle expédition bien loin de vos terres galloises natales. C'était souvent comme ça que se décidaient la date de vos rentrées scolaires à toi et tes frères et soeurs, il faut dire. Je crois que tout le monde avait un peu peur, quand les adelphes étaient seuls à la maison, alors cette situation était nerveusement évitée.

Il te fallait toujours quelques jours pour t'habituer à la la vie irlandaise. Le monde permanent, les longs couloirs de l'école, et les imprévus parfois pour le meilleur, et parfois pour le pire. Ainsi, tu n'aurais pas su dire dans laquelle de ces deux catégorie se retrouverait cette rencontre hasardeuse avec Cyrus.

Disons-le de suite, Cyrus Crane était un gars sympa. Tu admirais son côté solaire, ses facilités sociales, sa spontanéité. Il était un peu tout ce que tu aurais aimé refleter, sans en être capable. Mais Cyrus était aussi parfois un peu too much. Du genre qui te faisait regretté d'avoir été dans l'entrée à ce moment précis, et d'être entré dans le champ de vision du roux.

Quand il hurlait à tue-tête en publique, surtout quand ses cris t'étaient destinés, t'avais toujours un peu envie de disparaître. Alors tu baissais la tête, ramenant quelques mèches de ta chevelure cuivrée sur ton visage embarrassé, dès que tu lui avais envoyé un petit signe discret de confirmation.

Le problème avec l'anglais, c'était aussi qu'il te faisait comprendre à quel point tu ne pourrais jamais être aussi naturel que lui. Parce que la seconde où il avait quitté l'entrée, sans aucune pensée supplémentaire, toi, tu te posais déjà mille questions. Du genre : quand est-ce que vous étiez censé vous retrouver? Où ça au premier étage? Qui amenait le maquillage? Et aucune n'aurait de réponse, parce que l'intéressé avait déjà disparu.

Dans le doute, tu étais parti du principe que ça voulait dire maintenant, et qu'il était parti cherché ses vernis à ongle pour te rejoindre en haut. Alors par sécurité, t'étais de suite monté à l'étage, attendant ton ami, assis sur la dernière marche des escaliers.

Autant dire que t'as eu le temps de découvrir l'endroit. De remarquer les formes de visages dans le motif du marbre, de les griffonner sur ton carnet de dessin, de constater leur fraîcheur en t'allongeant dessus (jusqu'à ce qu'un délégué passe par là). Le temps de te demander plusieurs fois si tu devrais pas aller chercher ta trousse de maquillage, finalement, puis de te dire que c'était risqué. Que ça faisait déjà un moment. Que si tu partais maintenant vous alliez forcément vous croiser. Qu'envoyer un message papier serait inutile, parce qu'il allait arriver.

Alors, quand tu entends le claquement de chaussure hâtif qui précède l'appel de ton nom complet, tu tressautes déjà d'impatience depuis une bonne heure.

Cyrus!

Tu es soulagé à l'idée de le voir, mais vraiment, tu as aussi du mal à cacher un peu de ton exaspération dans le ton que tu utilises. Enfin, au moins, il a bien prit son matériel, et ça te rassure un peu. Tu avais peur d'avoir définitivement perdu ton temps. Tu ranges rapidement ton bloc de papier, bien rempli par de nombreux croquis de la cage d'escalier prises sous tous ses angles, et tu te lèves pour arriver à la haute de ton ami.

C-ça va? Je ne m'attendais pas à ce que tu m'appelles comme ça. Surtout ici. Je sais qu'il y a les miroirs des toilettes, mais c'est pas le meilleur endroit pour un make over...

Il rit bruyamment, mais avec cette chaleur, cette bienveillance qui faisait de Cyrus quelqu'un de si attachant. Ses mots coulent les uns après les autres, cascadant d'une folie à une autre. Sa spontanéité te fascine. Il semble toujours avoir réponse à tout, comme si c'était une évidence. Enchaîner les réponses sans la moindre hésitation. Tu ne saurai pas répondre aussi automatiquement, avec si peu d'arrière pensée, à un simple "Comment ça va?".

Alors tu ris brièvement quand il place sa tête entre ses bras, effaçant la nervosité qui avait lentement prit possession de toi lors de ta longue attente sur ses marches. Tu poses ton regard sur son visage enjoué, te demandant si un jour tu pourrais arriver à ce niveau de franchise avec ton entourage. Mais au fond de toi, il y a cette petite voix qui te chuchote que tu ferait mieux de garder ton masque, si tu veux continuer d'avoir ces gens autours de toi. Mais tu n'aimes pas avoir à te souvenir que tu n'es pas une aussi bonne personne que tu le laisses croire, même quand la réflexion te vient de toi. Alors tu essayes d'oublier cette pensée, forçant une réplique douteuse pour te changer les idées plus facilement.

Bro, tu sais que si tu vas me prendre par la main pour m'amener jusqu'au toilettes, il faut que tu commences par dire no homo, si tu veux pas que je me fasse des idées.

Tu lui adresses un clin d'oeil taquin en ouvrant sa trousse de maquillage. Tu regrettes de la voir si peu fournies, mais tu fais avec ce que tu as. Après tout, le roux ne pouvait pas deviner que tu serais assez bête pour attendre deux heures complète sans passer chercher ton propre matériel.

Tu en sors trois flacon de vernis à ongle, tout en installant sur le sol marbré faisant la transition entre le couloir et les wc de l'étage. Rose pâle, orange, jaune. Une combinaison estivale que tu as hâte d'essayer sur les mains de ton camarade. Alors tu lui fait signe de venir te rejoindre à ton niveau avant de bien agiter les petits pots colorés.

Tu pouffes de rire quand il suggère que tu aurais déjà craqué pour lui s'il l'avait voulu. Il y avait une limite au temps que tu pouvais passer avec Cyrus sans que tes batteries sociales ne se vident qui excluaient la possibilité d'avoir ce genre de relation avec lui. Et pourtant, ça ne t'empêchais pas de surenchérir, la mine faussement plaintive.

Raison de plus pour ne pas me faire espérer en vain.

Tu ouvres le premier pot de venins, dont tu vérifies la consistance avant de l'appliquer sur les ongles de ton camarade. Tu ne serais pas étonné de savoir qu'il les avait laissé au dessus d'un chauffage ou en plein soleil pendant toutes les vacances et qu'ils aient fini complètement secs à la rentrée. Fort heureusement, ce n'était pas le cas, et il ne te restais qu'à appliquer la couleur en faisant la conversation.

Tu attrapes doucement sa main droite pendant que les questions fusent. Une bonne excuse pour éviter son regard, n'est-ce pas? Et installant la palme du roux sur ton genoux bien face à toi pour commencer la séance, tu te demandais comment tu allais réussir à te sortir d'une conversation que tu voulais éviter d'avoir. Ne pas parler de celle qui t'avait un peu trop manqué cet été, bien que tu ne saches pas encore tout à fait dire si la raison était votre proximité grandissante, ou le simple fait qu'elle définisse à elle seul l'aura d'hellébore dans ton esprit de par le temps que vous passiez ensemble depuis six ans. Et soyons honnête, tu aurais préféré que ces pensées qui t'avaient hantées tout l'été ne soient que la matérialisation de ton mal de l'académie, parce que Prudence était trop proche de tous tes adelphes pour que ça n'en devienne pas un peu gênant si le statut de voter relation devait changer.

Nope. Toujours fidèle à la team célibat. Faut dire qu'il y a pas grand monde à aborder à Llanfairpwll.

C'était pas un mensonge à proprement parler, mais on voyait bien dans la tension de tes mains qui tentaient tant bien que mal d'appliquer ces couches régulière de vernis que t'étais pas tout à fait franc dans tes props.

Et toi? Ton "charme légendaire" a-t-il fait de nouvelles victimes à Londres? Ou tu es resté en famille? Je veux dire, ça a dû te faire du bien de retrouver ta sœur aussi, non?