Asmo ouvre négligemment la fenêtre et se glisse dehors. Il tire de sa poche un paquet de tabac et des feuilles. Ses doigts rodés par l'habitude roulent rapidement une clope qu'il porte à ses lèvres. Le briquet qu'il sort de sa poche est usé et craque plusieurs fois dans le vide avant de produire une flamme minuscule qui lèche le bout du tabac en rougissant. Simple précaution, quand on est fait de bois sec, manipuler un chalumeau est peu recommandé.

Il crache la fumée vers le ciel et tourne la tête vers le salon. Il est tard et mais les fauteuils sont étonnement toujours assez pleins. C'est doux, de savoir qu'il y a du monde, qu'on est pas seul et que le monde vit. Asmo attend Cyrus, ce dernier a dit qu'il allait chercher de la musique. Ce soir, on s'amuse on a dit. Après une journée très productive - Asmo a gagné presque toutes les parties de morpion du cours d'alchimie - les deux abrutis avaient décidé, une fois n'est pas coutume, de ne pas dormir et parler du monde et de la vie jusqu'à pas d'heures.

- Ah enfin !

Asmo se marre, toujours dehors en voyant Cyrus revenir.

- Tu t'es perdu dans ta propre chambre ou c'est comment ? Ramène ton cul ici, j'ai pas fini ma clope.

Asmo pose un regard fasciné sur l'enceinte. Elle l'avait toujours protégé de la technologie et les rares appareils qu'il voyait ici le fascinaient. La découverte de tous les styles musicaux avait été incroyable pour l'enfant assoiffé de nouveautés qu'il était - qu'il est encore.

- Tu mets un truc s'il te plait ?

Il y a un sourire sur ses lèvres et la passion d'entendre encore, de danser encore, de vivre toujours.

Asmo se marre et lève les yeux au ciel. Ça veut dire quoi la célébrité ? C'est comment une star ? C'est comment le monde au dehors ? Mais Asmo se marre, par mimétisme, il connait tout ça mais il se rappelle encore de ses premiers mois ici et de ses questions innocentes et perdues dans un anglais mâtiné de chinois maladroit. Alors il lève les yeux au ciel et rit.

- Tu prends trop la confiance chacal.

Et on lance la musique. Déjà Asmo hoche la tête en rythme et les yeux fermés, il se laisse envahir. Il se laisse porter par la vague qui pulse déjà contre ses oreilles. Il aime ça, tellement ça. Bordel, comment a-t-il pu vivre pendant treize ans et imaginer que la seule musique qui existe est la lente et ardue mélodie du violon ? Comment a-t-il pu se passer de tout ça ? Comment a-t-elle osé le priver de tout ça ?

Il écrase à peine sa clope que mes mains de Cyrus se glissent dans les siennes et il l'entraine à danser. Asmo rit, presque comme un enfant. On le voit rarement aussi expressif que quand il danse. Il n'aime pas vraiment, ses gestes sont trop fluides, ont ce frissonnement étrange qui rappelle ... qui rappelle. Mais là, c'est Cyrus alors on tient ses mains, ondule des hanches. Parce qu'avec ceux qu'on aime, pas de place pour la gêne, pas de place pour la haine de soi. C'est sûrement là qu'il est le plus beau, pleinement assumé, sous le regard des aimés.

Le sourire aux lèvres, il fixe Cyrus de ses yeux étranges, ses mains se serrent sur les siennes et d'un geste il les rapproche, rit et s'éloigne en sautillant en rythme, leurs mains toujours liées.

- Tu mènes rien du tout là, rien du tout du tout ... un peu de nerfs mon cher, faites un effort !

Il secoue le bras de Cyrus comme un enfant. Il rit comme un idiot. Il n'a peut-être pas fumé qu'une clope mais ça, c'est un secret - ou pas. Parfois - souvent depuis quelques temps - lâcher prise devient difficile, alors on s'aide un peu.