20h45. L’heure préférée de Sophia, qu’importe le jour de la semaine. Le dîner avait fini d’être servi depuis quelques temps déjà, faisant que les étudiants étaient, pour la vaste majorité d’entre eux, déjà rentrés aux dortoirs. De plus, le couvre-feu approchant, la plupart parmi cette masse préféraient aller dans leurs chambres plutôt que de rester contempler la mort du feu dans le salon commun.
Ainsi, Sophia se livrait à une étrange danse quotidienne visant à optimiser son confort et, par extension, sa productivité. Elle dînait dès que possible, à 19 heures tapantes, et engloutissait son repas à toute vitesse. Personne ne mangeait avec elle, de toute façon, donc personne à attendre ou avec qui partager le repas. Une fois le plat terminé, la jeune fille filait dans sa chambre et y restait jusqu’à 20h40. À ce moment, elle se levait, prenait ce dont elle avait besoin, et boitait vers le salon commun, en croisant au passage ses camarades de chambrée et autres élèves qui faisaient route vers leurs lits.
Elle arrivait donc à 20h45 dans le grand salon, faiblement éclairé par les braises rougeâtres de la cheminée. Et à ce moment, elle pouvait se livrer à ses activités dans le calme le plus parfait. Sophia n’avait pas d’aversion particulière pour les gens à l’échelle individuelle. Mais en groupe, ils étaient souvent moins délicats et moins amicaux. Elle ne leur en tenait pas rigueur, chacun ses faiblesses et elle n’était elle-même pas exempte de défauts. Mais il ne fallait alors pas s’offenser si elle tenait à fuir le tumulte journalier l’espace de quelques heures. Elle avait eu vent des rumeurs concernant ses activités nocturnes, la plupart étant trop grossières et infondées pour mériter d’être rapportées, mais elle n’en avait cure. Au contraire, rendre ce rituel fréquent avait fini par faire fuir les quelques traînards qu’elle mettait mal à l’aise et, après deux ans, elle avait bien souvent la salle pour elle toute seule.
C’était une de ces soirées. Un léger sourire fendit le visage pâle de la sorcière alors qu’elle s’avançait vers la table basse la plus proche de la cheminée. Elle posa son barda sur la table en question, tira un gros fauteuil derrière elle, et s’assit en laissant s’échapper un souffle de satisfaction par le nez.
Il n’y avait qu’elle, le crépitement occasionnel des flammes et la rotation de la Terre autour de son axe. Elle avait un peu plus d’une heure devant elle. L’apprentie sorcière posa la main sur l’une des boîtes qu’elle avait apporté.
Ce qu’elle venait faire ici à cette heure n’était pas fixe. Parfois, elle lisait un livre, parfois elle préparait des éléments de décor pour ses vivariums.
Aujourd’hui, elle était là pour jouer.
Elle retira le couvercle de la première boîte, révélant un magnifique jeu d’échecs artisanal acheté à Dunleen lors de sa dernière balade. Il sentait bon le bois, et Sophia consacra quelques secondes à simplement humer le parfum ainsi relâché dans l’air. Puis, elle sortit l’échiquier, plaça les pièces à leurs emplacements corrects avec la plus grande minutie, et commença à jouer contre elle-même.
Un mouvement, deux mouvements. Ses yeux sombres se plissèrent alors qu’elle faisait passer son cavalier blanc en F3. Tout ceci manquait de twist amusant, à bien y réfléchir. Avec un murmure et un mouvement de sa main droite, elle déplaça par télékinésie le couvercle d’une autre boîte, le poussa sur le côté, et au moyen du même sortilège sortit de la nouvelle boîte un sachet de jetons colorés. Certains représentaient des ogres, d’autres des agneaux. C’était là des pièces extraites de Gloutons et Moutons, un jeu qu’elle avait rapporté de chez elle (avec le reste de sa collection) après les premières grandes vacances. Le jeu en soi était médiocre, mais les jetons ici présents avaient un intérêt non négligeable : leurs versos étaient en tous points identiques, moutons comme gloutons.
D’un mouvement de la main, elle attira doucement le sachet à elle et l’ouvrit. Elle s’empara d’un jeton sans le regarder, le retourna et le plaça sous son cavalier. Elle continua la partie en envoyant le cavalier en question à la mort. Quand il fut mangé par un fou, elle souleva la pièce et regarda le jeton. Un ogre. Arbitrairement, Sophia décida que les pièces marquées d’un ogre emportaient avec elle dans la mort les autres pièces. Sauf s’il s’agissait d’un autre ogre, auquel cas la priorité allait à la pièce attaquante. Les pièces marquées d’un mouton qui tentaient de manger un ogre se retrouvaient mangées à la place. À cause d’un manque de jetons, seules les pièces spéciales étaient des ogres ou des moutons, les pions n’obéissaient pas à ces nouvelles règles, ce qui leur donnait à la fois un avantage conséquent et, en même temps, les rendaient plus risqués à utiliser.
Le jeu évoluait. Dans le plus grand des n’importe quoi déséquilibré et improvisé, mais il évoluait. Sophia sortit une feuille qu’elle plia et posa de sorte à former une séparation entre les deux moitiés de l’échiquier, et décida que les joueurs ne pouvaient pas voir les coups de l’autre tant qu’une pièce n’avait pas franchie ce "brouillard de guerre".
Une pensée traversa l’esprit de la jeune fille, alors qu’elle était désormais presque allongée sur la table en train d’essayer de voir si un changement de perspective (au sens propre) pouvait apporter du piment au jeu.
Tout ceci serait quand même bien plus intéressant avec quelqu’un d’autre.
Ne serait-ce que pour réprouver ses décisions hâtives ou pour noter les règles qu’elle inventait au fur et à mesure, à défaut de jouer avec elle.
Elle chassa du mieux qu’elle put ces pensées de son esprit et continua, remplissant la salle silencieuse des sons irréguliers et disparates des jetons qu’elle mélangeait et des pions qui frappaient le bois de l’échiquier, devenu méconnaissable…
Ainsi, Sophia se livrait à une étrange danse quotidienne visant à optimiser son confort et, par extension, sa productivité. Elle dînait dès que possible, à 19 heures tapantes, et engloutissait son repas à toute vitesse. Personne ne mangeait avec elle, de toute façon, donc personne à attendre ou avec qui partager le repas. Une fois le plat terminé, la jeune fille filait dans sa chambre et y restait jusqu’à 20h40. À ce moment, elle se levait, prenait ce dont elle avait besoin, et boitait vers le salon commun, en croisant au passage ses camarades de chambrée et autres élèves qui faisaient route vers leurs lits.
Elle arrivait donc à 20h45 dans le grand salon, faiblement éclairé par les braises rougeâtres de la cheminée. Et à ce moment, elle pouvait se livrer à ses activités dans le calme le plus parfait. Sophia n’avait pas d’aversion particulière pour les gens à l’échelle individuelle. Mais en groupe, ils étaient souvent moins délicats et moins amicaux. Elle ne leur en tenait pas rigueur, chacun ses faiblesses et elle n’était elle-même pas exempte de défauts. Mais il ne fallait alors pas s’offenser si elle tenait à fuir le tumulte journalier l’espace de quelques heures. Elle avait eu vent des rumeurs concernant ses activités nocturnes, la plupart étant trop grossières et infondées pour mériter d’être rapportées, mais elle n’en avait cure. Au contraire, rendre ce rituel fréquent avait fini par faire fuir les quelques traînards qu’elle mettait mal à l’aise et, après deux ans, elle avait bien souvent la salle pour elle toute seule.
C’était une de ces soirées. Un léger sourire fendit le visage pâle de la sorcière alors qu’elle s’avançait vers la table basse la plus proche de la cheminée. Elle posa son barda sur la table en question, tira un gros fauteuil derrière elle, et s’assit en laissant s’échapper un souffle de satisfaction par le nez.
Il n’y avait qu’elle, le crépitement occasionnel des flammes et la rotation de la Terre autour de son axe. Elle avait un peu plus d’une heure devant elle. L’apprentie sorcière posa la main sur l’une des boîtes qu’elle avait apporté.
Ce qu’elle venait faire ici à cette heure n’était pas fixe. Parfois, elle lisait un livre, parfois elle préparait des éléments de décor pour ses vivariums.
Aujourd’hui, elle était là pour jouer.
Elle retira le couvercle de la première boîte, révélant un magnifique jeu d’échecs artisanal acheté à Dunleen lors de sa dernière balade. Il sentait bon le bois, et Sophia consacra quelques secondes à simplement humer le parfum ainsi relâché dans l’air. Puis, elle sortit l’échiquier, plaça les pièces à leurs emplacements corrects avec la plus grande minutie, et commença à jouer contre elle-même.
Un mouvement, deux mouvements. Ses yeux sombres se plissèrent alors qu’elle faisait passer son cavalier blanc en F3. Tout ceci manquait de twist amusant, à bien y réfléchir. Avec un murmure et un mouvement de sa main droite, elle déplaça par télékinésie le couvercle d’une autre boîte, le poussa sur le côté, et au moyen du même sortilège sortit de la nouvelle boîte un sachet de jetons colorés. Certains représentaient des ogres, d’autres des agneaux. C’était là des pièces extraites de Gloutons et Moutons, un jeu qu’elle avait rapporté de chez elle (avec le reste de sa collection) après les premières grandes vacances. Le jeu en soi était médiocre, mais les jetons ici présents avaient un intérêt non négligeable : leurs versos étaient en tous points identiques, moutons comme gloutons.
D’un mouvement de la main, elle attira doucement le sachet à elle et l’ouvrit. Elle s’empara d’un jeton sans le regarder, le retourna et le plaça sous son cavalier. Elle continua la partie en envoyant le cavalier en question à la mort. Quand il fut mangé par un fou, elle souleva la pièce et regarda le jeton. Un ogre. Arbitrairement, Sophia décida que les pièces marquées d’un ogre emportaient avec elle dans la mort les autres pièces. Sauf s’il s’agissait d’un autre ogre, auquel cas la priorité allait à la pièce attaquante. Les pièces marquées d’un mouton qui tentaient de manger un ogre se retrouvaient mangées à la place. À cause d’un manque de jetons, seules les pièces spéciales étaient des ogres ou des moutons, les pions n’obéissaient pas à ces nouvelles règles, ce qui leur donnait à la fois un avantage conséquent et, en même temps, les rendaient plus risqués à utiliser.
Le jeu évoluait. Dans le plus grand des n’importe quoi déséquilibré et improvisé, mais il évoluait. Sophia sortit une feuille qu’elle plia et posa de sorte à former une séparation entre les deux moitiés de l’échiquier, et décida que les joueurs ne pouvaient pas voir les coups de l’autre tant qu’une pièce n’avait pas franchie ce "brouillard de guerre".
Une pensée traversa l’esprit de la jeune fille, alors qu’elle était désormais presque allongée sur la table en train d’essayer de voir si un changement de perspective (au sens propre) pouvait apporter du piment au jeu.
Tout ceci serait quand même bien plus intéressant avec quelqu’un d’autre.
Ne serait-ce que pour réprouver ses décisions hâtives ou pour noter les règles qu’elle inventait au fur et à mesure, à défaut de jouer avec elle.
Elle chassa du mieux qu’elle put ces pensées de son esprit et continua, remplissant la salle silencieuse des sons irréguliers et disparates des jetons qu’elle mélangeait et des pions qui frappaient le bois de l’échiquier, devenu méconnaissable…
Dernière édition par Sophia R. Quincy le Ven 4 Sep - 3:37, édité 1 fois