Tout commences toujours, par une rencontre [PV Méliandre]

Il n'avait pas pris le temps de passer par les dortoirs.

Frustré, Méliandre marchait bien vite en direction du rez-de-chaussée de l'académie, son sac ballottant dangereusement sur son épaule. Il avait la tête basse, jouant les grands timides comme toujours, faisant en sorte de ne toucher personne alors qu'il descendait presque les escaliers en sautant des marches. Il paraissait tenter fuir quelque chose mais en réalité, il était juste très énervé après cette dernière heure de cours. Entendre six fois la même explication du professeur parce que quatre personnes ne comprenaient rien... Ca avait failli le faire sortir de ses gonds. Aussi, la délivrance avait été bienvenue pour une fois et il avait besoin de se ressourcer.

Aussi, direction la salle de musique. Méliandre connaissait les horaires des groupes musicaux de l'école, il avait toujours fait attention à ne pas attirer leurs attentions. Lui, dans un groupe ? Ca prenait bien trop de temps, sans compter la frivolité de la chose à ce stade de leur adolescence. Il poussa l'une des portes de la salle, se figea au seuil en entendant la guitare et la voix. Il tourna de suite la tête vers la source de cette musique, se demandant s'il s'était trompé. Mais non.

Tout en détachant sa cravate, Méliandre posa les yeux sur un blond assis sur l'un des bureaux. Assurément, celui-ci savait ce qu'il faisait. L'air était simple mais il n'en restait pas moins plaisant. La chanson elle-même lui semblait triste mais il n'avait aucune envie de juger comme il n'avait pas tout entendu. Il posa son sac à côté de la porte et posa sa cravate dessus avant de revenir au chanteur. Tout en se dirigeant vers le piano. La harpe ne correspondait pas vraiment à l'instrument du jeune homme. Et ainsi, il le laissait finir sa chanson.

-Pourquoi un panda ?

Méliandre l'avait demandé une voix hésitante, comme timide. Il continuerait son rôle tant qu'il ne saurait pas exactement à quoi s'attendre avec lui.

-P... Pardon. Je ne veux pas déranger... Je voulais jouer aussi...

Il ne voyait pas l'intérêt de dire "bonjour", ce n'était pas un bon jour après cette dernière heure difficile. Méliandre effleura les touches du piano sans en tirer un son encore, comme il n'avait pas envie de se faire réprimander et prendre la tête.

-Tu as une voix agréable... Si je peux me permettre de le dire.

Et il esquissa son sourire timide numéro quatre, un peu bancal, ses yeux scintillant d'innocence.

La dualité ? Sérieusement ?

Et le pire, ce fut que le blond continua sur sa lancée. Peignant une sorte d'univers manichéen qui n'existait absolument pas. Enfin, au moins, sa présence ne posait pas de problème et Méliandre préférait qu'il en soit ainsi, surtout après une chanson si triste et poignante. Il n'avait aucune idée de ce qui avait poussé son vis-à-vis à chanter une telle chose mais il était encore un peu tôt pour "mourir ensemble et partir en cendres". En plus, ce n'était pas tellement un programme réjouissant.

Méliandre caressa encore les touches du piano alors que le blond terminait ses fadaises, oui à ce niveau, ça en été, et il s'assit sur le banc tout en massant ses doigts fins. Il les détendit au maximum, les yeux encore sur son interlocuteur, son sourire toujours en place.

-Je crains de ne pas comprendre... Le monde est... bien plus que cela, je dirais.

Il avait l'étrange impression que le blond se moquait de lui ou avait senti quelque chose en lui qu'il tentait bien sûr de cacher à un pur inconnu. Il prit un air indécis et perplexe alors qu'il ne voyait pas quelle plume pouvait aimer les pandas, à moins qu'il ne parle d'une personne réelle. Il supposa bien volontiers que oui alors que l'ordre claquait finalement. Il se retint tout juste de froncer les sourcils. De quel droit l'autre pensait-il pouvoir lui dire ce qu'il devait faire, hein ?! Malgré lui, son regard se fit plus acéré quelques secondes.

-Je... Je ne sais pas trop quoi... Je...

Pour rougir tout en se disant que l'autre ne manquait sûrement pas d'arrogance ! Méliandre se trémoussa soigneusement sur le banc, les joues bien roses. Rougir sur commande lui avait été un difficile exercice à apprendre mais il en valait la peine. Il baissa les yeux pour soi-disant cacher sa gêne et appuya sur une touche au hasard, comme s'il cherchait ce qu'il pouvait jouer, bien qu'il ait déjà prévu quelque chose.

-Merci.

Cette fois, ce fut une demande et cela passa mieux. Méliandre se redressa et plaça ses doigts sur les touches nacrées, le regard toujours doux. Après une chanson pareille, il ne se sentait pas tellement capable de faire joyeux. Aussi, il préféra se laisser aller et pour une fois, il sortit une musique qu'il était incapable d'oublier même s'il ne dirait jamais à quel point elle le touchait.

-J'espère que ça te plaira...

Et le tourbillon de notes commença, la cadence douce se montra bientôt plus rapide qu'elle ne l'avait laissé paraître de prime abord, elle ne lui laissait pas réellement le temps de respirer et surtout de réfléchir à autres choses qu'à la prochaine note. Il avait les yeux à demi-clos, ses épaules n'étaient plus raides, il se sentait bien mieux maintenant qu'il pouvait faire redescendre ce stress inattendu. Et quand les dernières notes s'égrainèrent, il murmura :

-Tu es différent.

Sûr que le blond l'entendrait pourtant.

Les mots le surprirent un peu, faillirent le faire sortir de sa transe.

Mais Méliandre ne perdit pas le fil pour autant, pas sur cette mélodie qui parlait à son âme. Il n'avait pour sa part aucune envie de chanter, aussi elle était la meilleure pour dire son humeur. Entre rêve et colère. Bien qu'il fallait le connaître pour le comprendre. Il sentait le regard intense du blond sur lui, ses doigts ne quittèrent pas le clavier même après la dernière note. Cependant, comme si sa phrase avait réveillé son interlocuteur, celui-ci vint le rejoindre sur le banc.

Méliandre ne sut comment réagir à cela et eut un petit mouvement de recul bien que ce n'était pas à lui de s'éloigner ! A quoi pensait cet énergumène en entrant ainsi dans son espace vital. Ils n'étaient pas exactement face à face mais la proximité suffisait à le rendre nerveux. Il se lécha les lèvres comme une personne timide ferait, les joues encore plus empourprées pour le spectacle. Il put alors réellement dévisager le blond, devinant qu'ils étaient des prédateurs tous les deux, bien que lui ne le montrât pas.

-Peut-être... Ou peut-être que j'essaie de l'être...

Sa voix n'était pas plus haute qu'un murmure, comme il était supposé le faire dans une telle situation. Il se trémoussa encore, faisant bien attention à ne pas effleurer son vis-à-vis, trop curieux à son goût. Il écarquilla les yeux de surprise quand celui-ci posa sa question, vraiment choqué pour le coup. Ils venaient de se rencontrer il n'y avait même pas dix minutes et l'autre parlait de l'embrasser alors qu'ils n'avaient pas échangé leurs prénoms ?!

Méliandre recula encore, son regard à la fois innocent et méfiant, bien que la méfiance soit au premier plan. Il ne se laisserait pas prendre son premier baiser par le premier venu qui le draguait. Enfin, était-ce de la drague ou de la provocation, difficile à dire. La seule chose dont il était sûr, c'était qu'il n'était pas question que ça arrive. Il leva les mains, atteignant le maximum de rouge dont il était capable sur le visage et bégaya.

-Que... Quoi ? Non ! Pas de baiser !

Et comme pour provoquer quand même alors qu'il esquiverait, il ajouta.

-Ce serait mon premier...

Méliandre espérait ainsi aussi expédier le type. Il était vierge et très content de ce fait dans l'état actuel des choses. Le romantique en lui aspirait à une relation... Difficile à décrire mais il voulait qu'elle soit la plus belle possible, c'était certain. Il se leva donc, ses mains toujours devant son visage, pas certain que sa réaction soit la bonne. Fallait-il qu'il soit dans une telle situation ce soir-là, hein ?

-Et je ne sais même pas qui tu es.

Au fond, il avait éludé le sujet mais si l'autre tentait sa chance, il l'assommerait avec sa guitare. Avant de le soigner. Parce qu'il ne voulait pas non plus sa mort sur la conscience, merci bien.

-Po... Pourquoi tu me poses cette question ?

Une de ses mains retomba sur les touches du piano, ses doigts jouèrent instinctivement une mélodie un peu menaçante...

En réalité, Méliandre était loin d'avoir peur du blond mais il se méfiait complètement de ce qu'il ferait pour le pousser à bout. Clairement, il avait déjà été démasqué depuis la première seconde et l'autre se contentait à présent de voir à quel point son masque et son jeu étaient bons. Sauf qu'il ne voyait aucune raison de les garder corrects puisque cela ne servait à rien. Il laissa donc enfin tomber sa deuxième main quand la question de son vis-à-vis tomba.

Méliandre perdit toute rougeur quand le blond donna son avis sur sa prestation. Il continua à jouer sa mélodie, comme il avait besoin de cela pour ne pas répliquer violemment. Ce serait stupide de sa part de le faire part ailleurs, comme son interlocuteur était un arrogant. Cela ne ferait que le conforter dans ses déclarations. Il esquissa un sourire narquois, son regard maintenant contenait une sorte de lueur amusée.

-Il existe donc d'autres prédateurs dans le coin. Mais nous ne sommes pas pareils.

Même si bien sûr, ils étaient capables de faire tourner le monde en bourrique. Méliandre haussa une épaule et fit une petite courbette, comme pour saluer le compliment.

-Merci mon bon seigneur.

Le blanc observa réellement attentivement le blond alors. Des yeux malicieux, un nez fin sur un visage volontaire. Son vis-à-vis laissait presque voir par sa physionomie qu'il n'avait rien d'un agneau mais il y avait sûrement plus que cela. Il sentait une faille sans pour autant pouvoir mettre le doigt dessus. Il aperçut derrière la fourrure blanche du renard arctique qui accompagnait le blond. Hum.

Son regard revint à Cyan. Comme la couleur ? Amusant...

Méliandre. Enchanté, renard guitariste.

Méliandre serra la main du blond sans hésitation alors que la porte était poussée. Yué, son kirin noir venait enfin le retrouver, ayant sûrement senti son irritation. Il se rassit sur le banc du piano comme si la présence de Cyan n'était pas gênante. Mais si, un peu. Le blanc était tout de même pudique et un tel envahissement de son espace n'était vraiment pas habituel. Il caressa Yué quand celui-ci posa son museau contre son bras qui ne frôlait pas le blond.

-Je suppose que c'est ton jeu préféré, de déstabiliser les autres.

Méliandre n'en serait pas surpris du tout alors qu'il commençait un air lent, très doux. Il tenait tout de même à achever de se calmer, c'était qu'il avait des devoirs à faire ensuite. Il jeta un regard en coin à son interlocuteur.

-Tu sens la nature. Helvelle ?

Bien qu'il en était presque certain, il l'avait tourné en question.

-Veux-tu parler de ta chanson ?

Méliandre restait un soignant dans l'âme.

Cyan savait très bien ce qui le trahissait.

Méliandre se contenta donc de juste garder son sourire narquois alors que le renard arctique semblait heureux d'être remarqué tout de même. Sauf que si le blanc avait évité de noter sa présence, c'était simplement parce qu'il ne pouvait pas le toucher et c'était frustrant face à une aussi jolie fourrure. Il fut un peu soulagé que le blond s'éloigne bien que rien ne le montrât pour le coup. Surtout pas. Cela inciterait le guitariste à revenir pour l'embêter, il en était certain.

-Merci pour lui.

Méliandre ne soulignerait pas que Yué détestait les compliments, une chose avec laquelle il composait encore parfois. Il l'adorait, il fallait le dire et que son kirin ne veuille pas être loué le laissait souvent perplexe. Pour ensuite revenir à Cyan alors qu'il jouait de nouveau. Comme l'air lui était moins important, il accepta de discuter par dessus celui-ci.

-Disons que cela dépend de qui et de pourquoi.

Et c'était bien là tout le souci avec sa façon de faire et celle de Cyan. Méliandre ne le pensait pas fondamentalement mauvais, loin de là, mais il sentait et supposait que le blond jouait de son don de manipulation pour son propre plaisir. Pas forcément à faire mal mais au moins à avoir le dessus pour tout à chaque fois. Preuve d'une faille sous tout cela. On ne tentait pas d'être le plus fort en tout pour rien. Il jeta un œil par dessus le piano quand le blond dit son prénom, d'une manière étrange quelque part. Était-il en train de marquer l'esprit de Cyan ? Le guitariste s'ennuyait-il dans cette école ? En tout cas, c'était bien un Helvelle.

Qui n'avait aucune envie de se dévoiler de quelle que façon que ce soit. Méliandre n'était pas surpris, les prédateurs étaient connus pour être mystérieux après tout. Il répondit tranquillement.

-Je n'ai aucun sentiment particulier pour ta chanson, Cyan.

C'était d'autant plus vrai qu'il ne l'avait pas entendu entièrement. Il temporisait ses notes alors qu'une question tombait, un peu absurde, difficile à saisir de prime abord. Méliandre leva les yeux le blond tandis que Yué se couchait contre ses pieds, sous le piano. Il ne goûta guère la comparaison, d'autant que les mariées étaient souvent vierges et innocentes à une lointaine époque. Et il n'était pas question de mariage entre eux. Pour le moment, ils se tournaient autour, très clairement.

-Et je n'ai aucun doute sur le fait que tu sois réellement un pervers. Avec des règles mais un pervers tout de même.

Méliandre en eut un peu plus la confirmation à la réplique suivante. Il ne secoua pas la tête, massant plutôt ses doigts pour qu'ils soient encore plus souples. Il n'hésita pas comme il n'y avait pas grand chose à dire sur sa colère. Et ce serait l'occasion de voir si le blond donnerait vraiment des vérités sur lui-même ou non. Il se leva donc et suivi de Yué, il alla effleurer les cordes de la harpe proche de la fenêtre, frappée par les derniers rayons de soleil.

-Je n'aime pas les imbéciles et entendre six fois la même explication ou presque pour que deux idiots ne saisissent toujours pas ce qu'il faut faire, c'est irritant.

Méliandre regarda ledit Flocon, puis Cyan.

-Cela me fait perdre du temps. Et s'il y a bien une chose à savoir sur moi, c'est que je ne permettrai à personne de me faire rater mes études par stupidité.

Rien que le ton de sa voix suffisait à dire que c'était une réalité qui ne serait pas changé par quoi que ce soit. Même l'amour ne le détournerait pas des ses projets d'avenir. Il fallait dire que ce n'était pas l'amour qui nourrissait non plus. Méliandre s'assit sur le petit tabouret à côté de la harpe et pinça quelques cordes sans chercher à forme une musique particulière. Il avait juste changé de place pour profiter des dernières lumières et se réchauffer.

-A ton tour.

C'était vraiment un drôle d'élève...

Méliandre parlait de la chanson, Cyan en venait de suite à dire que c'était pour lui-même ramenant tout cela à un sujet assez égocentrique. Mais il n'avait aucun problème avec Cyan, sinon qu'il pouvait voir la vérité sur lui-même. Le blanc savait bien qu'un jour, il tomberait sur une personne comme celle-là et que ce soit vers la fin de sa scolarité aidait à ce que ça pique moins. Dans sa jeune adolescence, il était conscient qu'il l'aurait bien mal pris.

Quant à la perversité, eh bien bravo au blond s'il avait autant d'expérience qu'il le laissait entendre. Méliandre n'était absolument pas préoccuper par la chose, bien au contraire. Il savait que l'amour rendait distrait. Il ne voulait pas se perdre si facilement. Même s'il savait là encore que son coeur choisirait pour sa tête. Quoi qu'il en était, il eut un petit frisson à la manière dont Cyan avoua sa perversité et Méliandre se demandait ce que cela pouvait bien signifier.

D'ailleurs, il s'interrogea de même sur le regard que posa le guitariste sur lui alors qu'il était maintenant assis à la harpe. Méliandre eut l'impression qu'il venait de lui retirer un voile ou il ne saurait dire quoi. Normalement, pour le spectacle, il aurait rougi, mais là, il se contenta d'attendre pour saisir cette réaction.

-Je...

Il s'interrompit comme le blond n'avait pas fini.

-Je ne me sens pas triste. Comme je n'ai personne que j'aime de cette façon auprès de moi ici, je ne peux pas connaître ce côté agréable dont tu parles.

Seul ? Le blond se sentait seul ? Méliandre le croyait bien volontiers mais c'était étrange à entendre après ce couplet sur l'amour. Il regarda le renard arctique qui profitait des caresses.

-Pourtant, tu ne l'es jamais vraiment. Si tu as bien une personne que tu aimes ici, dans cette école avec toi, alors tu peux la rejoindre dès que tu veux ou presque. A moins que cet amour ne te suffise pas.

Et puis Méliandre l'écoutait dire cela mais il n'avait pas tellement l'impression que le blond cherchait de la compagnie. Il venait tout de même de le trouver seul dans la salle de musique, avec sa peine. N'avait-il pas d'amis pour se remonter le moral ? Et si non, pourquoi ? Malgré sa tendance manipulatrice, il ne semblait guère méchant. Peut-être éventuellement un peu brusque ou détaché. Mais rien de rhédibitoire en soi. A moins qu'il ne cache bien pire... Méliandre ne saurait le dire en quelques minutes de conversation. Cependant, il quitta la harpe et ce fut lui qui s'approcha du blond et il lui tendit un bonbon.

-On dit toujours que les douceurs, ça aide.

Son empathie avait pris le dessus sur sa colère, et ce même s'il restait un peu méfiant après cette histoire de baiser.

-Tu peux bien sûr ne rien me dire mais si un jour, tu veux une oreille attentive, j'en serai une.

Méliandre soupira légèrement après ça, comme il ne voulait pas de nouveau être irrité. Il croisa légèrement les bras et s'appuya contre le bureau à côté de Cyan. Il avait les yeux vers le ciel et le soleil couchant, l'air un peu lointain mais pas tant que ça. Il saisit finalement cette croix qu'il avait toujours autour du cou et répondit.

-Je suis un Sureau. Et nous étions en cours de langue des monstres à ce moment-là. Et crois-moi, ce n'était pas la leçon la plus difficile à ce jour.

Méliandre reposa les yeux sur Cyan.

-Et toi, l'une de tes spécialités, c'est ?

Ca pouvait venir oui, mais Méliandre n'était pas impatient.

Pas sur ce point. L'amour lui faisait un peu peur tant c'était un sentiment puissant. La réaction de Cyan à son petit présent lui parut incongru. Ou la preuve que celui-ci n'était pas si triste que cela. Méliandre se doutait qu'il amusait assurément le blond mais comme on s'amusait souvent aux dépends d'autres dans leur façon de fonctionner, il n'en était pas choqué ou énervé. Il se contenta de répondre comme s'il n'était pas provoqué.

-Il faut parfois que ça le soit, on ne peut tout demander à une autre personne, elle a forcément des limites.

Sa plume... Cela devait être la personne qu'il aimait et qui était dans cet établissement avec lui. Pas un ou une amoureuse. Peut-être un lien fraternel ? Cependant, il semblait que cela n'aidait pas Cyan de ne pas l'avoir si loin. Méliandre soupçonnait que c'était cette partie du caractère qu'il voyait lui qui était habituellement caché.

Donc appuyé contre le bureau à côté de son interlocuteur prédateur, Méliandre esquissa un sourire en coin à la façon dont il répéta le nom de son cours. Eh bien quoi, il n'y avait rien d'étrange dans ce qu'il avait dit. Mais il y avait une sorte de répulsion chez Cyan. Il donnait l'impression de ne pas aimer les gens. Ce à quoi Méliandre pouvait répondre qu'aimer les gens, c'était énormément d'énergie, donc il pouvait comprendre.

-Cela demande d'apprendre une partie de la culture et pas que. Il faut aussi tenter de comprendre l'état d'esprit qui n'a pas souvent grand chose à voir avec le nôtre. Comme l'esprit de meute des loups-garous ou la pauvre longévité des fées des rivières. C'est se plonger mentalement dans autre chose. Et je trouve cela fascinant.

Et il en avait sûrement trop dit mais pas il assumait. Il n'était pas inquiet, loin de là. Méliandre se doutait que ça donnait des armes mais comme il les offrait, il savait comment les parer. Pour hocher la tête en entendant la réponse de Cyan.

-Je l'étudie aussi, mais sur mon temps personnel, je ne voulais pas me surcharger de devoirs. Je passerai l'examen si je le peux, cependant.

Donc, le blond n'aimait pas les gens mais il étudiait la façon de... les tuer ? Le blanc rit doucement de sa propre bêtise pour tourner la tête vers son interlocuteur à cette question inattendue. Yué vint se poster assis face à Cyan, clairement le kirin étudiait justement celui qui osait parler de lui. Sa corne luisait dans la quasi pénombre de la pièce maintenant que le soleil tombait derrière l'horizon. Méliandre lâcha sa croix.

-Tu veux me faire croire que tu n'as pas la moindre idée de pourquoi ? Serais-tu moins bon que tu le dis ?

Surtout alors que son animal le rendait évident, selon Méliandre.

-Si tu veux me courtiser, tu peux essayer. Mais fais attention aux mots que tu choisirais. Si tu fais bien, je jouerai de la harpe pour toi.

Le blanc recula que le blond puisse manoeuvrer sa guitare à son aise, se mettant en face, une main sur la tête de son kirin. Il caressa lentement en se demandant ce que le renard arctique allait faire de son côté. Il trouvait son côté pelucheux adorable, mais il ne le dirait pas.

-Je te préviens, je ne fonds pas si facilement malgré ce que pourrait faire croire mon empathie.

Il l'avait vu en action, donc Méliandre le disait. Il voulait voir comment Cyan tenterait de le manipuler. De son côté, il se mit à lui tournait autour, comme pour l'observer sous toutes les coutures, surtout pour voir s'il pouvait le rendre nerveux ou non.

-Et puis, si c'était trop facile, ce serait ennuyant.

Pour Cyan, comme pour Méliandre.

Le blond disait cela mais il ne savait même pas s'ils avaient le même âge.

Méliandre pensait que non, il se souviendrait s'il y avait quelqu'un comme cela dans son année. Il soupçonnait Cyan d'être légèrement plus vieux même s'il faudrait poser la question pour savoir ce qu'il en était vraiment. Le blanc savait sans nul doute que le blond le draguait. Mais difficile de savoir ce qui lui plaisait. Sa personnalité non docile ou son physique quand même un peu attrayant. Ou le tout. Son interlocuteur était vraiment difficile à lire, et il allait lui falloir plus d'une conversation avec lui pour que ça change.

-Merci de me complimenter encore. Cela étant dit, je m'en voudrais de t'empêcher d'étudier correctement, même si cela est potentiellement moins important pour toi.

Méliandre posa une main douce sur son kirin tout en riant de ce que venait de dire Cyan. Non, le blond n'avait pas compris leur réaction et pour le coup, c'était assez amusant. Il laissa Yué se frotter à son bassin pour le voir s'installer plus confortablement ensuite. Le blanc reprit un peu de sérieux pour répondre :

-Nous pensions plus que tu serais du genre à tuer des humains que des animaux, justement. Nous essayons juste de comprendre pourquoi nous avons ce ressenti.

Voilà. Cyan lui prouvait sa perspicacité, même s'il ne s'était pas attendu à entendre le mot majesté pour le représenter. Il s'en sentit un peu gêné mais ne le laissa pas transparaître, esquissant néanmoins un sourire à la fin de la réplique comme elle était vraie. Il prit une pose presque théâtrale.

-Je compte être le meilleur guérisseur de ce siècle.

C'était une sacrée ambition, il le savait mais il ne laisserait pas tomber. Tant qu'il sentirait que c'était possible, il s'y tiendrait. Comme pour le défi, d'ailleurs, puisque Cyan voulait l'appeler ainsi. C'était étrange de se dire qu'ils allaient flirter et draguer l'un avec l'autre mais après tout, c'était un apprentissage qui ne ferait pas de mal à Méliandre. Charmer était toujours important et il comptait bien réussir. Aussi, il écouta attentivement cette sérénade, regardant la façon dont Cyan se tenait, chantait, laissait entrevoir ses émotions. Il ne fut pas surpris de l'entendre demander s'il aimait la vue, même si ça avait quelque chose d'arrogant. Sûrement parce le guitariste l'était un peu quand même.

-Tu es plutôt beau oui. Mais non, je ne veux pas te voir retirer quoi que ce soit. N'est-ce pas un peu trop frontal comme approche, en plus ?

Loin de la séduction ? Méliandre ne pensait pas que voir un corps dénudé pouvait charmer. Excité, oui, certes. Mais le charme, c'était autre chose à son sens. Il alla s'asseoir à la harpe et crispa, décrispa ses doigts.

-Donc, tu veux que je te séduise... Voyons voir si je sais faire...

Sûrement pas aussi bien que le blond qui laissait entendre qu'il avait l'habitude. Il appuyait énormément sur le fait d'avoir son corps, mais Méliandre n'était pas de ceux qui couchaient sans sentiment. C'était important pour lui, et pour le coup, si le blond le raillait à ce sujet, il perdrait à coup sûr. Il commença les notes d'une musique qu'il aimait bien. Jouer de la harpe était plus physique que de jouer du piano. Et tout en exécutant les notes, il déclencha ma magie pour donner une illusion d'eau qui coulait autour de nous et de petites fées de lumières qui virevoltaient. Méliandre aimait donner des images aux sons qu'il produisait.

-Qu'en penses-tu ?

Méliandre jeta un œil au blond alors que les dernières fées s'évanouissaient avec les dernières notes. Cela n'avait pas été long comme musique, ce serait trop demandé à ses capacités mais il était plutôt content de ce qu'il venait d'offrir.

-Et quel âge as-tu ? J'en ai 17 pour ma part.

Il soigna le bout de ses doigts. C'était ça avec la harpe, on pouvait vite se faire mal. Mais il ne l'échangerait contre rien. La nuit était bien tombée et il alla allumer les lumières. Rester dans le noir avec Cyan présentement ne lui paraissait pas une bonne idée. Le blond pourrait trop facilement le surprendre. Il se tourna ensuite vers lui et Méliandre constata qu'il s'était bien assez calmé pour faire ses devoirs sans mal.

Son petit trésor ? Rien que cela ?

Méliandre en était plutôt amusé, cette personne devait être celle qui comptait le plus dans l'univers de Cyan. L'on ne voulait pas être un modèle pour rien d'autre qu'une personne très aimée. Quant au fait de tuer, que Cyan le fasse ou non, ce n'était pas exactement son problème. Mais s'il y avait blessure, il serait sûrement celui qui soignerait. Ce qui serait une bien étrange alchimie entre eux. En tout cas, il hocha simplement la tête à la question, son regard sérieux sur le blond. Toute personne capable d'utiliser sa beauté et sa ruse était un danger.

Méliandre se retint de faire la moue quand le blond affirma que ça avait été un peu court. Il apprenait encore, mais soit, il pouvait comprendre. Lui-même aurait adoré pouvoir continuer. Cependant, le message caché était bien passé, il le voyait à la façon dont l'observait Cyan. Cette impression d'être traqué l'amusa, comme s'il allait céder si facilement. Loin de là. Il prit note de la déclaration de son vis-à-vis.

-Alors je trouverai autre chose...

Mais il ne jouerait probablement pas vraiment de ses charmes, comme il ne savait pas faire et trouvait la chose complètement embarrassante. Mature ?! Méliandre avait bien entendu ? Cela le sortit de ses réflexions sur lui-même et il dut se tenir pour ne pas éclater de rire. Il ne se pensait pas mature mais il était impossible que Cyan le soit déjà. Pas avec certains morceaux de son caractère. Il hocha la tête pour la suite, cependant.

-En effet, même si tu as encore le temps, il vaut mieux être fixé. Il peut être douloureux de ne pas trouver sa voie et sa place en ce monde.

Méliandre supposa que ça avait du sens de préférer le piano, les sons en étaient moins aigus et cristallins. Il reprit son sac à dos, Yué bien auprès de lui. Le kirin avait clairement l'air de penser qu'il devait aller travailler et le blanc était bien d'accord avec ça. Il faillit rougir quand Cyan lui dit qu'il le raccompagnerait, comme s'il était une personne précieuse. Il se permit aussi un rire.

-Voilà qui est bien vrai. Merci.

Ils se quittèrent devant le dortoir des Sureaux, Méliandre assura Cyan qu'ils se reverraient avant de se rendre à sa chambre pour son travail. Il avait bien besoin de se reconcentrer après cela...